Il était une fois dans l'Est ❘ Inauguration ❘ 31/31

  • Date : 15/06/2024
  • Lieu : Eglise Sainte Barbe, Crusnes
  • Type : Vidéo
  • Auteur : La Bande Passante - Les Habitant-es du Coeur de Pays Haut - les Ados du Collège
Bonjour. Nous sommes les élèves de troisième du collège de Juliot-Curie à Tucquegnieux. On travaille avec la compagnie La bande Passante sur le projet qui s'appelle “Il était une fois dans l'Est” et on voudrait savoir c'était quoi avant quatorze ans Ici, en cœur de pays haut ?

Le Bassin ferrifère lorrain est le plus important de l'Europe de l'Ouest. Sous nos pieds, on a une grande richesse de minerai de fer. À Tucquegnieux Il y avait deux puits de mine de 200 mètres de profondeur. On pouvait commencer à y travailler, même en étant adolescent. Où étiez vous à l'école ? Moi, j'étais d'abord apprenti mineur. J'ai donc été à l'école primaire.

J'ai fait mon certificat d'études et une fois que j'ai vu mon certificat d'études, on m'a demandé si je voulais aller à l'usine ou à la mine.

Comme j'ai une famille plutôt d'origine minière et aussi d'origine de la sidérurgie, malgré tout, j'ai quand même choisi la mine. Donc, j'étais apprenti mineur. Comme beaucoup de jeunes du coin qui avaient comme moi 14-15 ans, qui ont fait leur apprentissage à la mine. Alors l'apprentissage à la mine, c'était quoi ? C'était poursuivre nos études et faire du sport pendant deux ans.

Puis après on a passé le CAP de mineur.

L'apprentissage de la mine, c'était l'école bien sûr, mais après on nous prenait et on allait au fond. C'est à dire qu'on nous mettait dans des chantiers qu'on appelait chantiers école. Et là, il y avait un ancien mineur qui était avec nous, on était à deux et les anciens mineurs nous apprenaient le métier.

Pour faire de l'acier, il faut mélanger de la houille et du minerai de fer. Avant, dans la mine, les hommes chargeaient et tiraient les wagons. Ils ont été remplacés par des chevaux. On n'arrivait pas à forcer les chevaux quand ils n'arrivaient pas à tirer un certain nombre de wagons, ils n'en tiraient pas plus. Avant le métier de mineur,

c'était un métier de bagnard. On cassait de la roche. Quand je suis descendu au fond, j'avais quinze ans et neuf mois. Ah ça je me souviens quand je descendais : le plafond est bas, il n'y a pas la même couleur qu’au jour. Un autre monde ! Avez vous des anecdotes sur votre jeunesse ?

Il y a une chose qui me reste en tête, mais ça, c'est quand j'ai terminé, donc le centre d'apprentissage et que je suis descendu en tant qu'ouvrier à la mine. J'étais dans le train et il y avait trois mineurs qui étaient là, trois Polonais. Tous les trois étaient à deux ans, voire trois ans de la retraite.

Il y en a un qui avait 27 ans de mine. Les deux autres avaient 28 ans de mine. Et moi, je me disais :

27 ans, 28 ans ! mais c'est le bout du monde, quoi !

Je ne veux pas travailler dans la mine parce qu'il y a des araignées. Moi, je ne veux pas parce que c'est dangereux. Moi, je pourrais aller travailler en tant que mineur pour aider la famille s'ils n'ont pas assez d'argent pour vivre, pour pouvoir avoir un meilleur confort. Est ce que vous viviez dans une maison confortable ? On n'avait pas de commodités.

Il n'y avait pas de salle de bain et il n'y avait pas de toilettes. Alors les toilettes, elles étaient au fond du jardin et pour se laver, on se lavait devant le lavabo, matin et soir, chacun son tour. Et une fois par semaine, on sortait les grandes baignoires en fer. Bah là, c'était dans la cuisine et puis on faisait chauffer les grandes bassines sur le feu en bois.

On se baignait comme ça jusqu'à ce que arrivent les douches municipales, faites par la mine, toujours, où on pouvait aller se doucher deux fois par semaine.

Est ce que vous avez fait des bétises pendant votre jeunesse ? Moi, gamin, j'allais me promener là dessus. J'y suis allé assez souvent. Je me faisais d'ailleurs enguirlander par mes parents. C'est dangereux. Tu te rends pas compte ? Les trains ! Parce qu’à l’époque c’étaient encore les trains à vapeur qui passaient. Je suis de 1954 moi, je suis arrivé ici en 56. Donc je me faisais remonter les bretelles, mais c'était rien. On était une bande de jeunes.

Ça se passait comment vos escapades sur le viaduc ? On se promenait sur le machin, on écoutait bien pour voir si il n’y avait pas un train qui arrivait, parce que c'était pas encore à l'époque, C'était pas encore des heures fixes. Le train il passait quand il était chargé, machin, donc quelque part on n'en menait pas trop large. Mais bon, on y allait quand même.

Quand le viaduc a-t-il été construit ? Il a été fait par Eiffel le 19 août 1893. Mes grands parents m'ont dit qu'à la construction, il y avait eu trois morts quand même.

Je pourrais prendre des risques pour des personnes, mais seulement si ce métier est bien payé. Un bon travail, c'est un métier qui a de bons horaires, un métier qui n'est pas dangereux, un métier qui n'est pas loin, qui paye bien que tu as envie de te lever tous les matins. Un bon métier, c'est un métier qui donne envie.

Un métier qui a une bonne paye. Nous, on voudrait faire du droit ou être boulangère ou ingénieur robotique, gendarme, médecin, footballeur ou ostéopathe. Où avez vous passé votre adolescence ? J'ai toujours été ici parce que je suis fille unique et que je travaille avec ma maman. Je l'aide. Quelle était votre relation avec votre famille ? J'ai une maman très courageuse.

Elle a été veuve à 38 ans avec le bowling, le bistrot et vous savez savoir se faire respecter en étant une femme seule et savoir être plaisante en même temps, c'est tout un art. Et chez moi, ça a toujours marché à la baguette !

Ici, dans le temps, c'étaient que des mineurs. Alors il y avait les Italiens, beaucoup et les Polonais. Ils jouaient aux cartes, c'était agréable. Alors des fois, ça criait “t'as mal joué”. Ils jouaient surtout à la scopa et puis à la mourra, vous savez ce que c'est la mourra ? C'est quand on est à quatre, ils jouaient debout, ils tapaient, puis avec les doigts, vous disiez un nombre et chacun jouait.

Alors là, ça commençait toujours doucement, doucement, puis après ça faisait “hé hé !” mais c'était bien. Pouvez vous nous raconter un événement qui a marqué votre adolescence ? Moi quand j'ai fait ma communion, j'ai eu un transistor et j'étais contente. Avec le transistor, on mettait de la musique. Après, j'ai grandi. Les copines venaient parce que il y avait de l'ambiance.

Et sur ce transistor, vous écoutiez quoi ?

En 1963, les mineurs de Tucquegnieux ont fait la grève et sont restés dans la mine du 14 octobre jusqu'au 31 décembre pour la défense de l'emploi et l'arrêt des licenciements. Ils ont fait une grève générale avec les syndicats pour être mieux payés pour ce qu'ils font. Il y avait une organisation au fond de la mine, les mineurs se

remplaçaient toutes les 48 h ou tous les trois jours. Sans la solidarité de la surface, les mineurs n'auraient pas tenu longtemps, au fond de la mine. C'est les femmes qui préparaient la nourriture et les enfants, ils écrivaient des lettres à leur papa. C'est à dire que le travail du papa, c'était le plus important. Donc les mines ont commencé à fermer, on commençait à fermer toutes les mines parce qu'on voulait plus exploiter les sous sols.

Ici pour récolter du minerai. Donc on a commencé à licencier des gens. Et moi j'étais au CM2. Donc quand je suis rentré de l'école, mon papa m'a dit je suis licencié. Avec bien sûr plein d'autres gens. Donc c'était une grosse catastrophe. Parce qu'il y avait une maison, il y avait trois enfants, et donc il a fallu prévoir l'avenir autrement.

En 1993, mon papa était syndicaliste CFDT, donc il était toujours sur les piquets de grève. C'est lui qui les organisait. Pouvez vous nous raconter un événement qui a marqué votre adolescence ? L'événement marquant c’est quand ils ont sorti les gros Caterpillars de la mine pour aller déverser le minerai par protestation à Metz.

Mon père a fait toutes les fermetures de mines en Lorraine. Il était d'abord à Joudreville. Ça a fermé. Manif de Joudreville. Après, il était à Mairy-Mainville, ça a fermé. Toutes les manifs à Mairy. Et après il a été démanteler les mines à Hayange. Mais bon, c'était les grandes grèves. Et puis le soir des manifs, on scrutait la télé pour savoir si papa allait passer à la télé ou pas.

Lors du blocage des mines, les mineurs ont pu avoir un meilleur salaire. Aujourd'hui, les choses n'ont pas changé. Les gens défilent toujours avec leurs pancartes et leurs drapeaux pour montrer leur colère. Avant, on manifestait pour le salaire des mineurs. Maintenant on manifeste pour la retraite. C'est la solidarité. Pour moi, la solidarité, c'est quand quelqu'un me donne les réponses à des devoirs que je n'ai pas faits.

Pour moi, la solidarité, c'est qu'on ne dénonce pas. Quand je fais une bêtise.

Aviez vous fait des bêtises quand vous étiez adolescente ? Ah oui, oui, oui. Le défi qu’on se lançait, c'est de prendre chacun chez soi, de piquer aux parents des feuilles à cigarette. Moi j’allais chez mon grand père, je piquais les feuilles à cigarette. Il habitait à côté et il y en avait une autre qui amenait les allumettes et on allait se cacher dans les champs derrière une baraque et on mettait dans ces feuilles de cigarette toutes fines on mettait de l'herbe, de l'herbe qui poussait, hein ?

On les a roulait, puis on s'amusait à fumer ses saloperies, ça devait pas être bon. J'ai. J'ai encore pas le goût qui me reste, heureusement d'ailleurs. Mais voilà ce genre de bêtises qu'on faisait faire comme les grands.

Avant, il était une fois dans l'Est, où nous ne connaissions pas assez de choses du cœur du pays haut.

Nous avons découvert un peu de son histoire et de la réalité de ses habitants. On a aussi découvert qu'il y avait des mines ici. Et la guerre. Je m'appelle Loucia, Papa parle plutôt portugais. C'est donc maman Nadine qui a accepté de jouer le jeu. C'était un moment de partage. Il y a eu beaucoup de fous rires, de souvenirs partagés.

Notre adolescence n'est pas la même. Ça m'a fait plaisir de l'interviewer. Merci de m'avoir raconté l'anecdote avec ma grand mère. Je n'imaginais pas comme ça. Elle me manque énormément. Je pense souvent à elle quand on allait piquer des fraises dans le jardin. Je m'appelle Francesca. J'ai interviewé mon voisin Frédéric. Aujourd'hui, il est psychologue et ce qui m'a touché, c'est qu'il ne vivait pas bien

son adolescence. Il était triste et mal dans sa peau. Je n'aurais pas imaginé ça. Moi, ce n'est pas ce que je vis aujourd'hui, même si des fois c'est difficile avec l'école et les autres, ça m'a touché. Le récit de Frédéric. Je m'appelle Pierre. J'ai interviewé mon père. J'aimerais lui dire merci pour ces instants passés avec toi et les conseils que tu m'as donnés.

J’aimerais lui dire : Papa, plus tard, j'aimerais devenir pilote de ligne. J'aimerais voler. Pas parce que c'est beau, pas parce que c'est cool. Je veux juste voler. Ça va être compliqué. Mais j'ai envie de te montrer que j'ai réussi mon rêve.

On est toujours la même bande de copains depuis qu'on était petits... Quand on était ados nos loisirs... On se foutait sur la gueule avec les Mercy le Haut. C’étaient les capounets, et nous et les gayots... Ma mère était au jardin et y avait le marchand de glaces qui passait la glace à la vanille pour la mère et pour la fille. La glace au chocolat pour le papa et machin.

J'habitais en face de l'étang en plus, alors il y avait des grenouilles, on allait à la chasse aux grenouilles. Et puis en hiver, on faisait des glissades. Là dessus. Je savais que j'avais le choix entre vivre comme un Américain ou vivre tel que je suis.

Il était une fois dans l'Est est un projet de collecte documentaire mené par la cie La Bande Passante et les élèves du Collège Joliot Curie de Tucquegnieux, avec le soutien de Scènes et Territoires en Lorraine, de la communauté de communes du Pays Haut, et du conseil départemental de Meurthe et Moselle. Avec Francesca, Loucia et Pierre. Mise en Scène : Tommy Laszlo, Benoit Faivre. Interview-Montage-Mixage : Laurence Moletta. Dessin : Etienne Gendrin. Musique : Thomas Guiral.