À quoi ressemblent les étapes du deuil? Comment passe-t-on d'un état à un autre? Comment évolue la douleur?
«D'abord on y pense tout le temps, et puis jour après jour on y pense de moins en moins, puis après on commence à penser à des moments agréables, puis à des moments désagréables, puis parfois on peut craquer d'un coup. Puis ça peut revenir bien.»
TRANSCRIPTION :
D'abord on y pense tout le temps, puis jour après jour où on y pense de moins en moins, puis après on commence à penser à des moments agréables, puis à des moments désagréables, puis parfois on peut craquer d'un coup, puis ça peut revenir bien.
Et on peut recraquer, puis on peut être heureux pendant toute sa vie puis au dernier moment recraquer.
Des moments je repense à lui.
Comme par exemple pour la fête des pères, je me suis réveillée à 4 heures et j'ai plus réussi à me rendormir parce que en fait le week-end c'était la fête des pères, et j'étais pas j'avais peur qu'à l'école tout le monde parle de la fête des pères, tout le monde dise ce qu'il allait faire et moi je pouvais rien faire.
Et ça allait être assez dur pour moi du coup je suis allée voir ma mère et elle m'a dit d'aller me coucher dans son lit.
Je suis allée me coucher vers 7 heures, je me suis endormie.
Et du coup elle m'a dit de ne pas aller à l'école.
Je me sentais soulagée.
Quand à l'école les personnes qui ne savent pas pour le décès de mon père me disent comme des surveillants mais ça n'arrive plus parce qu'ils ont été prévenus, mais qui me disent oui c'est ton papa qui vient te chercher, ou des trucs comme ça....
"non c'est maman"
et ils me disent "ah papa eu occupé"
"Non papa est mort"
Du coup en fait j'ai pas envie de créer une sensation de malaise quand je leur parle, de leur dire non mon père est mort, et que eux ils soient genre "escuse moi je suis désolé, je savais pas".
Je préfère le cacher et le dire plus tard avec mes amis autour, le dire "oui mon père est mort" et passer à un autre sujet, plutôt que de rester trois heures dessus avec un espèce de malaise qui pèse.
Ils ont compris d'eux-mêmes que je voulais que rien change.
Parfois j'ai des petits traitements de faveur mais j'avoue que parfois ça me fait plaisir quand même.
Par exemple j'ai eu le droit de repasser l'évaluation et du coup j'ai eu plus de temps pour réviser.
Et globalement comment ils ont compris les gens que tu voulais que rien ne change ?
Parce que quand on commence à en parler je tournais un peu la tête et du coup ils comprenaient, ils se mettaient à parler de saucisses.
Un jour j'étais en train de parler avec mes copines dans la cour, il y a une fille qui vient voir et qui me dit : "je suis désolé pour ton père", il y a Charlotte qui vient me voir et qui me dit : "quelqu'un sait que l'on va manger des saucisses à la cantine? Viens Justine on va voir le menu !".
Pour faire diversion.
J'adore cette copine !
T'adore qu'elle fasse diversion comme ça ?
Oui c'est moins gênant.
Parce que tu sais pas quoi leur répondre sinon ?
Bah oui j'ai envie de leur répondre : "merci ? c'est gentil !"
Et parfois du coup si j'ai un grand sourire, ils me disent : "mais tu es sadique tu souris ?"
Je l'ai annoncé à Joe, et elle savait pas elle m'a dit : "ah je suis désolée je savais pas"
"non, c'est pas grave !" avec un grand sourire.
"Mais tu es folle, pourquoi tu es pas triste, pourquoi tu pleures pas ?"
"laissez moi vivre un peu, non ? J'ai le droit de continuer non ?"
Ils m'ont pas vue pleurer donc c'est pas leurs affaires.
Tu y penses tout le temps à ton père ? Tu y pense tous les jours ou c'est quand il ya des occasions comme la fête des pères ?
J'y pense un petit peu tous les jours, mais quand il y a des grandes occasions j'y pense beaucoup.
Là je me disais : "je peux rien faire pour lui rendre hommage"
Et ça me faisait un peu bizarre parce que je faisais toujours des choses pour lui pendant la fête des pères et là je pouvais rien faire.
Tu faisais quoi avant par exemple ?
Par exemple avant je lui faisais des cadeaux, ou je lui achetais des livres : c'était sa journée quoi.
Et vous la passiez tout le temps ensemble la fête des pères ?
Pas tout le temps, parce que parfois c'est ça tombait la semaine où j'étais chez ma mère, et du coup je lui envoyais un message qui disait : "oui, je pense beaucoup à toi pendant la fête des pères"
Et la semaine suivante où j'étais avec lui je lui donnais une carte et dans la carte ça disait "bonne fête des pères".
Je sais que c'est mal mais chaque jour je me récapitule quelque chose que je pourrai plus faire avec lui, comme par exemple les dimanches après midi devant la télé avec lui.
Je pourrai plus jamais le faire.
Ou, on pouvait par exemple regarder la télé, ou on faisait des après midi jeux de société, ou quand par exemple on allait à la bibliothèque, des choses comme ça.
Ça me fait mal au coeur, et un peu à la tête, mais surtout au coeur ça me le serre hyper fort.
«D'abord on y pense tout le temps, et puis jour après jour on y pense de moins en moins, puis après on commence à penser à des moments agréables, puis à des moments désagréables, puis parfois on peut craquer d'un coup. Puis ça peut revenir bien.»
TRANSCRIPTION :
D'abord on y pense tout le temps, puis jour après jour où on y pense de moins en moins, puis après on commence à penser à des moments agréables, puis à des moments désagréables, puis parfois on peut craquer d'un coup, puis ça peut revenir bien.
Et on peut recraquer, puis on peut être heureux pendant toute sa vie puis au dernier moment recraquer.
Des moments je repense à lui.
Comme par exemple pour la fête des pères, je me suis réveillée à 4 heures et j'ai plus réussi à me rendormir parce que en fait le week-end c'était la fête des pères, et j'étais pas j'avais peur qu'à l'école tout le monde parle de la fête des pères, tout le monde dise ce qu'il allait faire et moi je pouvais rien faire.
Et ça allait être assez dur pour moi du coup je suis allée voir ma mère et elle m'a dit d'aller me coucher dans son lit.
Je suis allée me coucher vers 7 heures, je me suis endormie.
Et du coup elle m'a dit de ne pas aller à l'école.
Je me sentais soulagée.
Quand à l'école les personnes qui ne savent pas pour le décès de mon père me disent comme des surveillants mais ça n'arrive plus parce qu'ils ont été prévenus, mais qui me disent oui c'est ton papa qui vient te chercher, ou des trucs comme ça....
"non c'est maman"
et ils me disent "ah papa eu occupé"
"Non papa est mort"
Du coup en fait j'ai pas envie de créer une sensation de malaise quand je leur parle, de leur dire non mon père est mort, et que eux ils soient genre "escuse moi je suis désolé, je savais pas".
Je préfère le cacher et le dire plus tard avec mes amis autour, le dire "oui mon père est mort" et passer à un autre sujet, plutôt que de rester trois heures dessus avec un espèce de malaise qui pèse.
Ils ont compris d'eux-mêmes que je voulais que rien change.
Parfois j'ai des petits traitements de faveur mais j'avoue que parfois ça me fait plaisir quand même.
Par exemple j'ai eu le droit de repasser l'évaluation et du coup j'ai eu plus de temps pour réviser.
Et globalement comment ils ont compris les gens que tu voulais que rien ne change ?
Parce que quand on commence à en parler je tournais un peu la tête et du coup ils comprenaient, ils se mettaient à parler de saucisses.
Un jour j'étais en train de parler avec mes copines dans la cour, il y a une fille qui vient voir et qui me dit : "je suis désolé pour ton père", il y a Charlotte qui vient me voir et qui me dit : "quelqu'un sait que l'on va manger des saucisses à la cantine? Viens Justine on va voir le menu !".
Pour faire diversion.
J'adore cette copine !
T'adore qu'elle fasse diversion comme ça ?
Oui c'est moins gênant.
Parce que tu sais pas quoi leur répondre sinon ?
Bah oui j'ai envie de leur répondre : "merci ? c'est gentil !"
Et parfois du coup si j'ai un grand sourire, ils me disent : "mais tu es sadique tu souris ?"
Je l'ai annoncé à Joe, et elle savait pas elle m'a dit : "ah je suis désolée je savais pas"
"non, c'est pas grave !" avec un grand sourire.
"Mais tu es folle, pourquoi tu es pas triste, pourquoi tu pleures pas ?"
"laissez moi vivre un peu, non ? J'ai le droit de continuer non ?"
Ils m'ont pas vue pleurer donc c'est pas leurs affaires.
Tu y penses tout le temps à ton père ? Tu y pense tous les jours ou c'est quand il ya des occasions comme la fête des pères ?
J'y pense un petit peu tous les jours, mais quand il y a des grandes occasions j'y pense beaucoup.
Là je me disais : "je peux rien faire pour lui rendre hommage"
Et ça me faisait un peu bizarre parce que je faisais toujours des choses pour lui pendant la fête des pères et là je pouvais rien faire.
Tu faisais quoi avant par exemple ?
Par exemple avant je lui faisais des cadeaux, ou je lui achetais des livres : c'était sa journée quoi.
Et vous la passiez tout le temps ensemble la fête des pères ?
Pas tout le temps, parce que parfois c'est ça tombait la semaine où j'étais chez ma mère, et du coup je lui envoyais un message qui disait : "oui, je pense beaucoup à toi pendant la fête des pères"
Et la semaine suivante où j'étais avec lui je lui donnais une carte et dans la carte ça disait "bonne fête des pères".
Je sais que c'est mal mais chaque jour je me récapitule quelque chose que je pourrai plus faire avec lui, comme par exemple les dimanches après midi devant la télé avec lui.
Je pourrai plus jamais le faire.
Ou, on pouvait par exemple regarder la télé, ou on faisait des après midi jeux de société, ou quand par exemple on allait à la bibliothèque, des choses comme ça.
Ça me fait mal au coeur, et un peu à la tête, mais surtout au coeur ça me le serre hyper fort.
Justine a 11 ans et entre en 6ème. Elle raconte, en 26 épisodes, sa sortie de l'enfance, des doudous aux blagues de YouTubeurs, de sa peur du noir à ses rêves d'après bac. Un podcast de Charlotte Pudlowski produit par Louie Media (2018).