Quand je la retrouvais la semaine j’avais l’impression de voir la personne que j’avais été avant, comme si elle avait été une photographie de mon passé.
Je luttais pour qu’elle adhère à ma transformation et pour qu’elle se transforme elle aussi, avec moi. Je lui parlais des livres que je lisais, je la poussais à les lire ; je la poussais à adopter mon nouveau mode de vie, je l’invitais à faire des brunchs avec moi, à s’habiller d’une autre manière, que j’imaginais plus parisienne. C’était comme si les images de mes débuts à Amiens s’inversaient, maintenant c’était moi qui tentais de la transformer, mais j’échouais.
Je lui parlais de mes projets, de Paris et je lui demandais de venir vivre avec moi ; mais plus je changeais, plus elle me voyait changer, et plus elle se solidifiait et se crispait sur ce qu’elle était – c’est-à-dire ce que j’avais été. On se disputait, elle criait qu’elle méprisait les Parisiens et leur snobisme, et que si je continuais à devenir comme eux elle allait finir par me mépriser moi aussi. Elle détestait mon adhésion naïve et aveugle aux règles de la bourgeoisie. Elle criait pendant nos disputes qu’elle voulait lire pour le plaisir et pas pour accumuler des connaissances, comme je le faisais, pas pour accumuler du pouvoir ; elle qui m’avait offert les premiers livres de ma vie, qui m’avait emmené voir des films d’auteur au cinéma pour la première fois, elle disait maintenant que toutes ces choses-là la dégoûtaient, qu’elle ne voulait surtout pas devenir comme moi. Je m’acharnais quand même ; je voulais qu’elle connaisse Didier, je pensais qu’elle changerait peut-être d’avis si elle le connaissait, qu’elle voudrait venir vivre à Paris avec moi.
Edouard Louis, Changer : méthode, Editions du Seuil, 2021